samedi 14 avril 2012

Le droit à l'oubli 3

Texte pour le projet de livre.





Le droit à l'oubli

      Vous irez bien où vous voudrez, moi je reste et je disparais.

       Il ne rêve pas de gloire, mais il éclaire ses yeux dès qu'il peut.
Imaginez-vous que son jour point, et que cette heure-là lui fasse sentir l'usure de son corps. Que ce jour-là vous montre la carne qui le constitue. Vous n'y verriez plus rien.
Il écoute ce qui le fait et ce qui le forme.
Il n'en voit pas le bout.

       Il ne rêve pas de gloire, mais il ouvre la bouche sans rien dire, pour respirer.
On dirait qu'il ne veut plus parler. Et c'est sûrement pour ça qu'on ne le voit plus.
Les gens manquent. Certains font l'appel. Et d'autres, au milieu, dorment.
Il y a des milliers de raisons pour lesquelles on ne dirait rien, ne verrait rien. Cet homme n'est pas plus présent que nous tous réunis. Un groupe entier de personnes entières, et puis s'en vont.
C'est une silhouette.
Cet homme n'est que contours, mais on s'évertue à n'y voir qu'un corps se défendant. On s'imagine qu'il est bien là où il est.
Il est possible qu'il se défasse un jour de ce que nous attendons de lui.

       Il ne rêve pas de gloire, mais il se demande son nom.
Là où on placerait le bon sens, lui n'y voit qu'un boniment.
Il a cherché pendant longtemps comment formuler sa phrase, et après s'être rappelé les diverses formes, il a mué, et n'a plus pu s'exprimer.
J'ai longtemps cru que sa langue l'avait avalé. En fait, c'est lui qui l'a mangée.
On s'est arrêté en chemin, et maintenant nous sommes étriqués. On a ralenti la pensée, on l'a réduite jusqu'à ce qu'elle soit aussi fine qu'une feuille, et on l'a rangée en tas avec toutes les autres feuilles des autres. Comme ça, on n'y voit plus rien.

       Il ne rêve pas de gloire, mais il lève la tête.
Bien haut surtout.
Pour voir loin.
Voir venir ce qui pourrait bien lui arriver de véritable. Maintenant on lui siphonne à l'oreille qu'il n'y en a plus pour très longtemps. Parce qu'il a peur, et nous aussi. On se dit qu'il se taira et qu'on pourra bien lui apporter une ou deux oranges.
Avec ça il dormira.

        Il ne rêve pas de gloire, mais il pense fort.
Personne ne l'entend mais lui sait qu'il n'est pas enterré. Il se sait pensant. Nous lui refusons simplement cette considération qui ferait de lui une liberté. Et s'il arrivait à une solution ? Une à laquelle nous ne sommes pas capables de penser ? Il espère qu'aucune aiguille ne viendra le gêner et qu'il pourra faire sa route les bras ballants, en toute conscience de son corps pour une fois. Moins subi qu'instruit.
Une éraflure embourbée qui se voit amoncelée ne saurait durer plus longtemps.
Il prend ce rien qui fait son visage et sa pensée, et il envisage le pire.
Le mieux.

      Il ne rêve pas de gloire, mais il rêve.
À bras ouverts.

      Il ne rêve pas de gloire, mais il s'étend.
C'est comme une nappe qui vole au vent. On prend conscience dans la stupeur qu'elle est capable. Elle est seule, indépendante.
On prend peur, car on n'aurait jamais imaginé ça.
Une chose qui vit.
Un homme qui bouge, et pas n'importe lequel.
 
     Il ne rêve pas de gloire, mais il se rétracte.
Car son air est maintenant tellement concentré qu'il s'est réduit à presque rien, une pépite. Il a trouvé le fond. Il est resté longtemps. Il a compris ce qu'il est, et il n'a besoin de rien.
Les autres, ils ont peur. Ils se dispersent.
Lui est au minimum.
Il est petit.
Il n'est rien.

Alors, calmement, il s'en va.

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